• Dans le torrent de mon enfance . Anne Li

     

     

     chapitre 1

     Le temps des couches culottes

    Alors que je me débattais en vain dans le liquide amniotique de ma mère cherchant désespérément la sortie, je vis donc  le jour par l’issue de secours ! A mon arrivée,  mon père en chaussons, réveillé à une heure indélicate de la nuit me jeta un regard  désappointé en  laissant échapper avec une grande spontanéité  un  « bordel de  merde, encore une fille ! »  D’un point de vue psychanalytique, le bébé étant à présent une personne et comprenant tout,  mon histoire démarrait mal !

     

     Prédestinée alors  dès le berceau à développer  au mieux une bonne névrose mais ne pouvant revenir à la case départ,  je pris le parti de rester.  Certains naissent dans les choux, d’autres dans les roses, moi j’émergeais  en eau trouble!

     

        Bien que mon anatomie affichait le contraire je fus, jusqu’à la fameuse "mue des homards"  la copie conforme de ce rejeton mâle  tant convoité par mon père!  Maman, solidarité féminine émergeant, fût au contraire ravie de cette nouvelle alliance  en devenir ce qui me compliqua ostensiblement la tâche!

     

    Ne voulant éveiller l’irritabilité ni de l’un ni de l’autre, je fis donc avec ces ingrédients, au grand désespoir  de Yéyé ma sœur qui en perdait son latin, un savant mélange dont je suis seule à connaître le secret!

     

    Dans cet amalgame succulent mais combien délictueux j’étais, moi qui ne savais pourtant pas nager, comme un poisson dans l’eau ! Avec brio, je passais de mes jupes plissées à petits carreaux blancs et noirs, au short délavé  assorti à mes bottes de plage, troquant dans une légèreté absolue le missel du dimanche contre la vieille bécane rouillée et bien trop grande pour moi de mon  père. 

     

         Du haut de mes quelques centimètres, bien loin encore de toutes ces hautes considérations intello- psychanalytiques, j’évoluais gaiement dans cette joyeuse mixture et  je m’y retrouvais! Pas de conflits intérieurs, même pas l’ombre d’un questionnement, tout s’harmonisait sans aucun effort de ma part. Ma crise existentielle passée, Je sus beaucoup plus tard que j’étais en fait l’assortiment agrémenté, d’épices très personnelles, de ces deux êtres chers qui sans le savoir, n’en étais-je pas la preuve,  s’accommodaient fort bien!

     

    Chapitre 2

    Le temps des couches culottes. Anne Li

     

     Dans  la période «  emmaillotement » saucissonnée comme une andouille sans pouvoir prendre mon pied, j’imagine me connaissant,  que je dressais déjà des plans sur la comète,  histoire de rompre la routine! Une fois libérée de mes langes, dans mes premiers balbutiements, ne me restait plus qu’à rattraper le retard  ayant déjà  en tête une multitude de projets! Bien que je ne garde de cette époque que les images un peu floues  d’un pan de mur de bois, des rubans bleus flottant dans les cheveux  de ma sœur Yéyé, de la barboteuse de mon cousin J.P  et d’un vieux pépé Guilchet se penchant sans doute sur mon berceau, aux  dires de maman ce premier marathon fût un succès: ma courbe de poids était bonne, mon quotient intellectuel  normal, jamais malade toujours contente et mis à part que je suçais mon pouce et risquais d'avoir les dents en avant, tout allait pour le mieux dans le meilleurs du monde. 

     

         En grandissant ma vie de bébé allait bon train et je  savourais avec gourmandise les ballades du dimanche en famille, ravie de retrouver pour l’occasion, mes cousins et cousines, mon oncle Pierrot et ma tante Jeannette, Robert et  Germain les amis de la famille... Dans cette joyeuse cacophonie des couches culottes, sillonnant tantôt les rues du Faouët, les Halles,  les allées de boules, tantôt la rivière de L’Ellé allant du  grand pont jusqu’à Sainte Barbe, la vie était douce et tranquille.

     

         Chaque équipée était ensuite couronnée d'un goûter fastueux chez nos grands parents paternels. Joliment dressés sur la grande table, nous attendaient les crêpes, le pain sucré et les succulentes  crème à la vanille  dont grand-mère seule avait le secret! Servies dans de magnifiques coupelles  japonaises en porcelaine, dans un silence presque cérémonial où l’on ne percevait plus que le bruit régulier de nos  cuillères, nous n’étions plus que des petits ventres sur pattes dégustant gloutonnement une œuvre d’art. A peine emplis de toute ces béatitudes flottait déjà dans  l'air pour le repas du soir, l'odeur des petites pommes  de terre dorées frémissant délicatement dans le grand chaudron noir posé sur le fourneau!

     

       Pendant que les grands conversaient autour du café,  grand-père occupait la marmaille, nous faisant tour à tour sauter sur ses genoux. Dans la bonne humeur constante qui était toujours la sienne, il nous racontait inlassablement sans jamais se tarir, l' histoire gravée dans mon souvenir de « Marie trempe ton pain dans la soupe » Comme à son habitude, mémé ronchonnait toute seule dans son coin. L'insouciance de la jeunesse à laquelle se rajoutaient nos babillages, mettaient sans doute à mal son organisation millimétrée ce qui avaient le don de l'agacer! La table débarrassée, commençaient  pour les adultes, les incontournables partie de belote et pour nous le début des festivités! En quête de nos premières  croisades, la tribu au complet des " indiana Jones" en couches culottes pouvait enfin se mettre à pied d'œuvre et se lancer avec excitation et fébrilité dans l'exploration de la cave sombre et peu rassurante, de la vieille écurie et du  jardin interdit mais combien attrayant  du voisin d'à côté.

     La semaine, je présume devait être plus calme. Papa allait à son travail, yéyé à l’école et moi j’avais maman à moi toute seule! Avec ses cheveux mi longs, légèrement rehaussés d’un peigne de chaque côté, toujours aimante, attentive et à nos petits soins, j’imagine qu’elle me chantait de sa voix douce et mélodieuse, le rêve bleu ou ma petite fille adorée ou peut être les yeux de maman sont des étoiles, airs si chers  à mon enfance ,  que j’ai  moi même fredonnés ensuite à mes enfants et petits enfants.    

     

    Chapitre 3

    Mon patronage

     

     

        Au début de l’été, pendant la période des vacances,mes parents quittèrent la rue du château pour s’installer au patronage. Du haut d’à peine deux trois printemps, je découvris façon Pagnol ce lieu pharaonique qui allait être pour le restant de mes jours l’écrin précieux de mon enfance.

     

        L’appartement était gigantesque,tout en plancher et bien qu’il n’était pas de première jeunesse, il m’allait à ravir ! Perchée sur mon piédestal, au sommet de ma tour d’ivoire de deux étages, je  trottais allègrement d’une fenêtre à l’autre, regardant tour à tour avec admiration,  côté pile la vue imprenable que nous avions sur Sainte Barbe, côté face la cour à demi couverte d’un grand préau dans lequel s’encastrait par je ne sais qu’elle magie,un magnifique tilleul en fleurs.

    Ce ne fût pas ma seule surprise ! Le patronage, ancienne école privée réhabilitée en appartements, était aussi  un mini  « Disney Word » avant- gardiste,  avec ciné incorporé  et de multiples animations. Chaque jeudi et les jours de vacances, se retrouvaient pour une véritable  «   guerre des boutons »  tous les gamins du coin, ce qui était loin de me déplaire.

    Dès le premier soir, je m’endormis avec ravissement, ballottée par le son d’une fanfare.  Les murs et  le plancher se mirent au diapason m’emportant  en quelques  vibrations,  dans les bras de Morphée,  ce qui dès le berceau, me donna la fibre musicale. L’ambiance s’annonçait festive et prometteuse !

     Le  comble du bonheur, fût sans doute de découvrir que je partageais aussi  cette grande bâtisse avec d’autres colocataires en couches culottes !    

     Je fis la connaissance  d’Henry mon voisin du  dessous et yéyé celle de sa sœur Claudine. Après les préliminaires usuels de lèche bébé, Henry et moi devinrent vite inséparables, s’unissant dès le premier clin d’œil, pour le meilleur et pour le pire. Les filles s’adonnèrent sans plus attendre  à leurs jeux de poupée tandis que nous,  jetâmes   notre dévolu sur un vieux corbillard  somnolant dans un coin du préau.

     Dans ce curieux carrosse, tout de noir vêtu et orné de dorures, nous installèrent notre QG, intrigués de le voir de temps à autre disparaître à  l’arrière train d’un énorme cheval. Des heures durant, nous restions là à jouer et à voyager au gré du temps et de nos fantaisies, tantôt rois, tantôt bandits des grands chemins….                                                

      Bernard, dit « Manard »  mon colocataire de gauche, dernier né de la grande maisonnée,  finit par nous rejoindre. Jeannine son aînée, s’allia au clan des jupettes.  Le nouveau kami case, dès son arrivée, nous réduisit  sérieusement l’espace ! Le pire, était à craindre et ne tarda pas à venir !  Doté  d’une maladresse digne d’apparaître dans le livre des records, notre bad boy  en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, dépouilla notre quartier général  de  toutes ses richesses et  franges dorées. Le KGB des mini  dentelles fit implacablement  son rapport aux  autorités supérieures, ce qui nous valûmes illico presto quelques avoinées ! La sanction fût  hélas sans appel  et  notre Cadillac, sous les feux d’une interdiction,  momentanément  déclassée! 

    L’année suivante, Henry déménagea, quittant  à mon grand désespoir définitivement le Patro  et j’eus mon premier bleu au cœur ! Peu de temps après notre roll  Royce  disparut  définitivement à son tour sans que  nous ne sachions ni  comment, ni pourquoi ! L’énigme ne fut  résolue que bien des années plus tard, quand nous  comprîmes que notre hippomobile qui était en fait un corbillard, avait tout simplement lui aussi fini ses jours.

    L’épreuve du pot  fût réussie  et  s’acheva alors à jamais le temps des couches culottes !

     

     

     Chapitre 4 

    Sur le chemin des écoliers

    Le temps des couches culottes. Anne Li

      

    Dès que je mis le pied à l’étrier,  je sus que l’école ne serait pas ma priorité ! Faut dire que sœur Ficelle, c’est ainsi que je l’appelais,  était rêche et peu avenante et ne m’aida  pas vraiment à m’engager dans cette voie.

     Peu enclin à rester sur ma chaise toute la sainte journée, je fis dès le départ l’inventaire des placards à balais, des toiles d’araignées dans les quatre coins de la classe, de la cour et même celui de l’office de la mère supérieure. Mon esprit aventurier, voulant faire le tour de la question, m’amena dans la foulée à expérimenter le test du « torchon mouillé » ce qui instamment me chauffa le fessier et tempéra quelque peu mes ardeurs. L’épreuve du bizutage passée, n’ayant d’autre alternative que de continuer l’aventure, je pris la décision de me la jouer  plus stratégique.

       Cette fois bien calée sur mon siège mais la pensée toujours galopante, tel un caméléon accroché à sa  branche, je me  fondis dans la couleur locale et l’égo de sœur Ficelle en fut satisfait .Le temps de gestation  promettait d’être long et mieux valait, dès à présent ménager sa monture ! De nature positive, je pris le bon côté des choses, ciblant surtout  les récrés que j’affectionnais plus particulièrement.  Les notes ne démontant pas encore l’assiduité de mon travail,  je pus sans trop de difficultés laisser libre cours à mon imagination, atterrissant   avec subtilité  sur le plancher  des vaches, quand la situation devenait délicate ! Sœur Ficelle à mon grand soulagement n’y vit que du feu !

     

    L’année suivante l’arrivée d’Olivier, un petit frère tombé miraculeusement du ciel ,  ramena « sœur sourire » à ses premiers amours, ce qui me sortit instamment de toutes mes rêveries ! Comme moi il fit à son tour le parcours initiatique complet et face à la foudre de notre sainteté, défendit ses  arrières avec vivacité ! Le bougre et j’en fus pas peu fière, donna à la Ficelle bien du fil à retordre ! Il mordait comme un lion, ruait comme un cheval, chargeait comme un taureau et meuglait comme un veau qu’on mène à l’abattoir !

      Olivier me réconcilia un temps soit peu avec l’école, devenue pour moi  tout d’un coup  nettement plus attrayante ! Cette année là, nous furent sans contestation, les rois du bac à sable !

     

     

     Chapitre 4

    Un Olivier tombé du ciel

                               

     

     

    Je ne sus pas vraiment à l’époque, pourquoi un beau matin olivier débarqua à  la maison, la valise à la main ! Papa voulait un garçon, Yéyé ma sœur ainée un petit frère et j’imaginais donc qu’ils avaient du se le procurer quelque part, sans accorder beaucoup d’importance quant à sa provenance.

    Son arrivée pour le moins qu’on puisse dire ne m’enchanta pas et ne m’apporta dans l’immédiat que des désagréments! N’étais je pas le garçon, certes un peu manqué, que mon père avait toujours  souhaité, alors pourquoi donc s’en était-il allé chercher un autre !De plus il me prenait ma place de petite dernière et je me sentais soudainement très à l'étroit !   

       Habillé un peu kitsch, les cheveux à la brosse, le visage barbouillé de mercurochrome, Olivier, c’était son nom,  ressemblait à Doupic, un petit hérisson craintif, bien mal en point, que j’avais un jour récupéré  sur le bord de route. Comme mon porc épic, dès que je l’approchais, il  se  mettait en boule, sortant   là ses aiguilles,  prêt à me  transpercer. Cela ne présageait rien de bon !

        Son esprit rebelle dû je suppose venir rapidement à bout de mes résistances  et bien évidemment comme mon porc épic une fois apprivoisé, mon petit inconvénient de départ devint pour moi au fil du temps sans même que je m'en rende compte, le plus beau des avantages et le plus  tendre des petits hérissons de la terre. Très vite nous devinrent inséparables, complices et surtout  solidaires dans l’adversité.

       Régulièrement une dame Bourrel, tout de noir vêtue,  les cheveux  poivre et sel  venait à la maison, pour prendre disait elle  de ses nouvelles puis un jour, sans que je comprenne pourquoi, elle embarqua celui qui pour moi était devenu « mon petit frère ».

       Je ne saurais pas dire, là  non plus,  combien de temps Olivier  resta chez nous ! Deux ans, peut être  trois ! Ce dont je suis sûre en revanche, c’est qu’il  m’avait fait  fondre comme neige au soleil tant nous étions devenus proches !

       Son départ eut l’effet pour nous d’une secousse sismique qu’on n’a pas vu venir et  qui  vous laisse à terre,  les quatre fers en l’air !  Cet après midi là le tremblement de terre fut si puissant  que nous dûment nous cachés tous deux dans le grenier,  espérant ne pas être emportés par les vents violents qui tout d’un coup s’étaient levés !

        Papa rentra dans une colère folle  en découvrant que son p’tit gars s’en était allé. Maman et yéyé, rapatriées dans la cuisine, n’en finissaient pas de pleurer.

      Quant à moi, toutes les pommades apaisantes que l’on me mit ce jour là  ne purent résorber cet énorme bleu au cœur que je m’étais fait en tombant ! 

    Olivier alla en fait retrouver sa vraie maman qui, mais nous ne le savions  ni l’un ni l’autre parce que trop petits pour comprendre les histoires des grands, nous l’avait confié momentanément.

    Grâce à Marie Thérèse nous nous revîmes au début quelques fois au moment des vacances mais au fil du temps nos chemins se séparèrent nous laissant l'un et l'autre avec nos bleus au cœur!

     

    A suivre...

     

    Dans le torrent de mon enfance . Anne Li

     


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