• Lulu

     Lulu

    Lucien, dit Lulu, ne ressemblait à personne. Il n'avait rien d'un africain, même s'il avait les lèvres épaisses, pas plus qu'il n'était asiatique, bien que ses yeux étaient bridés. Les cheveux en bataille, habillé à la va-vite que j’te pousse avec son éternel pantalon à carreaux, qui grandissait moins vite que lui et l’art et la manière de boutonner dimanche avec lundi, il avait l’air, comme disait sa mère, d’un as de pique. Que voulez-vous, Lulu, il n’aimait pas la symétrie et à l’ordre préférait le désordre, les notes non alignées qui dansent sur la portée ! Il aimait le grand air, le chant des oiseaux, grimper à la cime des arbres et voir le monde d’en haut…

    Mais, lulu, sans le savoir, faisait le désespoir des siens. Excédés par ce petit garçon qui, décidément, ne ressemblait à rien et ne rentrait dans rien, maîtres et maîtresses se mirent en tête de le changer, de l'éduquer, de le rendre plus conforme pour qu'il soit dans la norme.

    Dans l'insouciance de ses six ans, Lulu trouvait le monde des adultes bien compliqué. Qu'avaient donc tous ces grands à vouloir le changer ? Pourquoi voulaient-ils le mettre dans des cases, lui qui ne supportait pas les boites trop étroites ? Et, Pourquoi disait-on toujours de lui qu'il n'arriverait à rien ? Qu'il était cabochard, illettré et ignare ! Il était lui, un point c’est tout et c’était là déjà beaucoup.

    Bon soit, il n’aimait pas la symétrie et boudait les maths sans merci, mais c’était là son seul délit ! Et, puis comment aurait-il pu savoir quoi acheter avec 1 franc, lui qui n'avait jamais eu un sou en poche, même que sa mère lui disait toujours :

     " Mon pauvre Lulu, tu es fagoté n’importe comment et quoi que je fasse, il te manquera toujours deux sous pour faire un franc »

    L’histoire ? Celle des vieux ? Bah ! C’’est vrai qu’il la trouvait trop poussiéreuse. Il faut dire que les coups de canons, ça faisait quand même des sacrés trous dans le béton ! y’ avait qu’à lui parler de fleurs, de fanfares, du cinéma de quartier… Et, là, il en connaissait un rayon le Lulu, preuve qu’il n'était pas si bête.

    Et, La Fontaine ? Ah ça, La Fontaine, c'était tout de même quelqu'un, même que son maître, il le disait. Eh bien ! lui savait mieux que personne toutes les histoires de ce grand homme. Celle du corbeau stupide, qui se faisait piquer son fromage; de la cigale rock star qui n'avait plus rien à manger avec la fourmi radine, aussi pingre que sa voisine la mère Pichard; de la grenouille qui voulait être aussi grosse qu'un bœuf et qui avait fini par péter, comme son ballon de baudruche, sur la cour de récré!

    D'ailleurs, lui aussi savait inventer des histoires. Il aimait la poésie, surtout quand elle était de lui. Un jour, son maitre l’avait surpris au milieu de ses rêveries. « Lucien, ce n’est pas en écrivant tes inepties que tu réussiras dans la vie » lui avait-il dit d’un ton plein de reproches. Ce jour-là, certes, le Lulu, il n'avait pas tout saisi, mais quand toute la classe avait ri, il savait bien qu'on se moquait de lui. Les mots, s'était-il dit alors, ça ne fait pas de traces dessus la peau, juste quelques dessus bleus le cœur, mais on ne les voit que de l'intérieur. Dehors, qui devinera qu’il est idiot, si lui Lulu n’en pipe pas mot !

    Au début, c'est vrai, ça le faisait presque pleurer et quand son père le voyait renifler le cartable plein de contrariétés, il n'arrêtait pas de lui répéter : " Lulu, arrête de pleurnicher ! Mets donc tout ça dedans ta poche et pose ton mouchoir par-dessus ! N'y pense plus ! Pour sûr, il semblait bien la connaître la chanson son père. Il avait dû remplir ses poches et user des tonnes de mouchoirs !

    Lulu ne rentra jamais dans les boites. Il garda les cheveux en bataille, son éternel pantalon à carreau et l’art et la manière de boutonner dimanche avec lundi. Au hasard des chemins, il fit la connaissance de Madame de Bournonville, une jeune institutrice. Elle vit en lui toute la richesse de son originalité, de son imaginaire et créativité, et mit à jour tout son talent.

    Lulu excella alors dans l’art de jouer la comédie. Il interpréta différents personnages en les mettant en scène avec tellement de spontanéité, de conviction et de naturel, qu’il forçât l’admiration de tous. Il fit rire, il fit pleurer, mais ne laissa jamais indifférent. Cette rencontre changea le regard de ses camarades, de l’environnement, sur lui. Désormais accepté, lulu put garder son allure d’as de pique et rester ce qu’il avait toujours été sans offusquer personne. Il était lui, un point c’est tout et c’était là… Déjà beaucoup .

    Anne Li

     

     


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