• Apprivoise moi

    Textes sur la différence

    Apprivoise moi  

     

    "La rencontre avec ce qui n'est pas moi,  

    Avec ce qui est différent de moi 

    M'enrichit "

     

    Tahar Ben Jelloun 

     

     

     

     

    Éducatrice dans l'enfance inadaptée pendant plus de trente-cinq ans, je ne me suis jamais épuisée de ces rencontres parfois insolites, souvent tortueuses mais empreintes de tant et tant de vérité et de sincérité !

    Ces rencontres m'ont fait découvrir l’essentiel, m'ont donné le goût des mots justes. Elles m'ont détourné des faux semblants, m'ont fait prendre des raccourcis pour dire de mon vivant, de leur vivant, aux personnes qui me sont chères combien elles me sont importantes.

     


     À Mickaëla, à Alain, à Gildas, à Christophe, Fares, Dylan, Florence, Thierry, Fabien, Juju, Brieuc... À toutes ces petites étoiles qui sont parties et qui depuis scintillent dans les cieux et me guident dans ma vie.

      

    Extrait du Petit Prince de Saint Exupèry  

    Apprivoise moi  

     

    « Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe.

    Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien.

     Le langage est source de malentendus.

    Mais,

    Chaque jour

     Tu pourras t'asseoir un peu plus près... »

     

    Ludo

    Du haut de ses huit ans, sur la pointe des pieds, dans une raideur presque cadavérique, Ludovic se tenait debout devant elle, à la fois si proche et si lointain. Il tournoyait des heures entières inlassablement sur lui-même dans une sorte de recherche d’équilibre, tel un papillon épuisé qui ne peut jamais se poser. Son visage crispé exprimait quelque chose d’effrayant, comme une douleur statique fixée à jamais sur la toile,  tandis que son regard désespérément vide,  la traversait d’un souffle glacial sans jamais s’arrêter ni la voir.  Ses mains, assaillies de mille doutes, de mille souffrances aussi, semblaient, dans leur détresse, chercher le chemin des siennes, mais dès qu’elles l’effleuraient, elles hurlaient de douleur, se tordaient, semblaient se consumer sous les feux de l’enfer.

    Pourtant, chaque jour, il était là, à proximité d'elle, emmuré dans son silence, cherchant, elle ne savait quoi d'indéfinissable. Sans comprendre vraiment ce qui la poussait, elle répondait présente à ce rendez-vous insensé où n’existait qu’un froid sibérien et austère. La moindre de ses expressions, la plus petite de ses attentions, la simple manifestation d’une émotion, éveillaient en lui un chaos de sentiments contradictoires qui paraissaient le submerger comme un raz de marée dévastateur, menaçant de l’engloutir à jamais.

    À ce masque de souffrance, telle une comédienne s’exerçant sur les planches, elle opposait une expression neutre, dénuée de tout affect, étouffant ses attentes, retenant ses paroles, ses gestes et ses émois pour ne pas le faire fuir.  « Il te faudra être très patient si tu veux m’apprivoiser, disait le renard dans le Petit Prince ! Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près... »

    Alors dans cette constance, elle attendait sans jamais défaillir, espérant que le temps deviendrait leur allié.

    Un jour s’éloignant d'elle, au plus loin dans la pièce, lui qui ne parlait pas lui cria son prénom, sautant comme un poisson qui recherche son air, la laissant interdite, bouleversée d’émotion, mais elle ne put rien dire si ce n’est : « Oui Ludo »
    À ne demander rien, il lui donna beaucoup et l’échange s’installa lentement, au fil du temps, par petites touches. 


      Anne Li

     

     


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